Un souffle, perceptible pour qui sait l'écouter. Un parfum enivrant, aux notes de vanille. La Lune, Dame d'argent, s'est hissée dans le ciel, et illumine de ses feux voilés le sable envoûté.
Lente danse des corps et des ombres sous les éclairs et les éclats. Pluie de sel, cascades d'eau de mer ruisselante dans les cheveux dorés sous la noirceur des cieux où dansent les étoiles. Il est là sur le pont, le loup de mer, le mystérieux gentleman, le maître de l'instant, l'infini à portée de boîtier. Et que passent les gens, et que rient les ignares, et qu'insultent les ineptes. Rien ne trouble en ces lieux sans temps le doux regard de la Muse câline, de la belle sculpturale déesse au culte secret qui se cambre amoureusement dans la chaleur fraîche, perçant de ses yeux de flamme le spectateur ébahi.
Soupir de Muse, qui donne au monde l'espoir de la Beauté, la croyance en l'espoir même.
Un autre jour, un autre ailleurs sans nul doute. Les feux de joie humaine se mêlent pour un temps à ceux, si purs, de la Lune presque pleine. Les amants qui s'ignorent s'enlacent, ballet enfantin, jeux de mains, promenade aquatique au bord de la crête des flots. Que passent et repassent les instants volés, les regards furtifs, les silences apaisants de l'obscurité complice. Qu'éclatent les orages et que flambent les nuages dans la rosée des couchants, je suis là, je te regarde, mes yeux percent avec toute la tendresse du monde la carapace badine de mes mots hésitants, l'armure invisible de tes pensées inaccessibles. Tendre secret brisé maintes fois, et pourtant. Mémoire d'un monde où il était si simple, mais si beau encore, d'embrasser sans une parole le serment sans contraintes qui lie les coeurs sans verrou ni cadenas, dans la seule étreinte du vent, dans la caresse de la douce averse d'un été qui se meut doucement, relie Ciel et Terre dans un sublime acte d'amour.
Le Temps s'étire dans la paresse légère des jours. Ta présence est chaque fois plus forte, chaque regard perce ma chair et frissonne sur mes joues, tu m'embrase, la Lune bienveillante, les criquets et les grillons, seuls ou entourés dans la splendeurs des nuits, dans l'extase des nuages colorés de couchants. Chaque heure passée, chaque seconde échangée entre ta prunelle si parfaite et mon oeil rougis encore de la si folle audace, la si ridicule tentative, sont autant d'ondes vibrante et tournoyantes, profonde comme le grain des notes sur un piano, inaccessibles, inaltérables par toute volonté humaine. Ta peur soudaine, telle une ombre se détachant de l'ombre sans parvenir à la lumière, je l'avale et la fait mienne. Le tremblement de ma main, je le cache sous la table, je l'enferme dans les plis de mes jupons, je l'arrache à ta contemplation qui, je m'illusionne, ne pourrait souffrir cette faiblesse avouée. Et je rêve alors, je rêve encore dans le chemin qui me ramène dans les cahots vers mon chaos, vers le tourbillon insatiable de mes pensées destructrices, illusionnées, sans buts autre que de se complaire dans leur inanité, dans la poésie vide de sens des mots qui sonnent dans le silence.
Brise bénie de l'été salvateur, vents et marées imperceptibles mais tenaces des bords de la Méditerranée. Aujourd'hui, princesse du mistral et de la tramontane, je chevauche en riant les souffles virulents. Voler, oui, voler enfin, dans l'insouciance et dans la confiance, dans l'inestimable force de la jeunesse. Volent aussi les mains de l'artiste sur la glaise qu'il sculpte, pouce à pouce, légères pressions magistrales qui forment l'informé, donnant vie à la création. J'observe en silence sa magie, sa subtile chorégraphie taciturne et modeste, qui fera de mon corps son oeuvre, lui insufflant une nouvelle existence, un but abstrait et passager comme les blancs nuages qui se promènent sur l'azur des cieux. Capteur d'instants, à sa manière, il est loin déjà quand ses mains expertes pétrissent avec soin et indifférence feinte la terre grossière, dont lui seul voit la forme finale, quand d'un regard il saisit le geste, l'expression, la figure qui éveillera ses sens et le poussera vers ses outils, armes pacifistes d'un chevalier moderne, aspirant à un monde plus beau sans porter de coups autres que ceux qu'il administre à sa matière. Douceur de ses mains un peu usées, douceur de ses yeux fins, douceur de sa voix aux accents d'orient, douceur de vivre enfin, dans le soleil salé, spectacle ininterrompu et renouvelé, les Alpes qui se reflètent dans la mer démontée, les roues grinçantes et monotones indiquant non la durée mais le Temps lui même, dans son inexorable fixité, tournoiement égal et silencieux, toile de fond de notre inconscience trop humaine, vains désir d'en modifier le cours, vaines suppliques auxquelles ce soir, je suis si loin de penser.
Des yeux. Que n'en ai-je vu ces temps-ci ? Vert tendre, bleu azuré, noisette cendrée, que d'yeux, que de regards intenses ou timides, que d'indifférence et d'attention! J'aime tes yeux d'un brun qui se colore de braise, encadrés par de sombres cils, j'aime tes prunelles vert d'eau où nagent des paillettes dorées, j'aime la pureté de ton regard bleu, celui que j'ai contemplé tout mon saoul, jusqu'à m'y perdre, m'y enfoncer sans crainte, ah, et cette étreinte, et ce plongeon, mon corps s'en souvient encore, tant il fut électrifié, secoué, parcouru de mille lumières, et abandonné ensuite, d'un clignement des paupière, à la solitude la plus terrible. J'aime encore, toujours, et j'aime l'amour, grisée par la sensation soudaine, et pourtant si tenace, d'un coup de foudre et de tonnerre, j'aime les longs silences sans une gêne, j'aime ta peau qui me fait frissonner, j'aime ta main posée sur ma taille, dans un élan pourtant réfréné, j'aimerai sentir tes lèvres d'un peu plus près.
"Un baiser, à tout prendre, mais qu'est-ce ?". La mer. Calme, limpide, d'un bleu profond, où se mêlent ce soir des touches de jade. Un baiser. Échange subtil de tendresse. Chaleur. Bonheur. Étreinte consacrée dans les vapeurs de la nuit. Tes dents blanches. Cette musique. Un tout inégalé...
Et tes mains, nerveuses mains d'homme, brunies par le soleil, séchées par le sel, douceur sur ma peau. Tes yeux, encore. Tes yeux m'obsèdent. Leur azur est si pur, teinté de reflets verts, que le ciel en est pâli. Recevoir, donner, lentement, impulsivement, la caresse de tes lèvres de miel contre ma bouche vermeille, ton bras qui s'étend, attrape, maladroit, les plumes folles de ma chevelure, attirant l'instant, précipitant le moment, se rétractant dans un éclat de rire, revenant ensuite, ballet continuel qui nous emporte, sans témoins dans la rue déserte qu'éclaire faiblement la braise rougeoyante de ta cigarette. Ah qu'elle est sans surprise, cette scène aussi vieille que le monde, et pourtant. Pourtant elle est unique cette fois encore, magique, inoubliable, elle est union, esprit, corps assumé, la vie bue à même la coupe de ces jolies lèvres surmontées d'un voile doré, à même ce visage lumineux, à même ces prunelles sans défaut, grandes ouvertes sur le monde, brillantes d'intelligence, âme profonde et encore inconnue, dont les premiers feux ne sont qu'incitation à l'embrasement, à la découverte d'un foyer de splendeurs que seul le Temps pourra dévoiler.
Et vient, cette nuit, l'extase. La jouissance pure. Le silence de l'homme et l'éveil de l'âme. Le corps parle de lui même. Aucune maîtrise. Juste laisser venir la vague. Attendre. Voir l'aube au loin se lever. La lune se presser. Les bateaux et les marées. Peau contre peau et guidés par les soupirs.
J'ai trouvé la paix dans ta voix douce, dans tes bras puissants, dans la chaleur de ta poitrine, dans la souplesse de ton corps musclé. Pour la première fois, je revivais, différemment, un véritable échange. Tu étais en moi, j'étais à toi, possession sans violence, mais ferme, vigoureuse, torrent de plaisir, onde de bonheur qui monte, déferle sur nos corps électrisés.
"Are you effraid ? - No I'm not, I feel confident. - When you are in my arms, you have not to be scared, I will protect you...".
Et tu as tenu parole et promesse. Dans tes bras brunis, je renais de mes cendres. J'aimerai ne les quitter jamais, conquise, brisée, à tes pieds, et voilà que tout recommence, j'ai peur, j'ai peur de vouloir un jour t'appeler mon amour. Ah, ces lèvres si fines, si douces, au parfum de miel, la chaleur de tes yeux qui ce soir, étaient d'un si beau vert, et cette indicible tendresse qui s'est dégagée de tout ton être, englobant tout l'espace... oh, non, je ne peux l'oublier c'est trop, et j'ai déjà mal de voir que ce soir tu n'es pas à mes côtés.
La route est longue aujourd'hui, dans l'extase perpétuelle des jours. Je ne crains plus la mort, maintenant, puisque ce présent est si grand, si vaste à explorer, et que le futur n'est qu'un mirage qui se profile. Et que passent les cataclysmes et les catastrophes, les bassesses humaines, l'impitoyable ritournelle, la spirale du meurtre. Rien à faire. Mon monde est ailleurs. Confiance en l'homme, tendre confiance en ces surprenantes découvertes, en ces douceurs de vivre, en ces rencontres merveilleuses. Et que parlent les politiciens, et que grommellent les sceptiques, les blasés, les dépressifs, les cyniques. Je préfère brûler, brûler jusqu'à la douleur, me briser bras et jambes, courir jusqu'à perdre haleine, me noyer dans un océan déchaîné, plutôt que de larmoyer, de hocher la tête depuis mon fauteuil en regardant la rue où je n'oserais aller. "I love love, I love make love, I love you; isn't a good way for life ?"
Tempête. Le tonnerre gronde, la pluie, monotone, emplie de limbes, vraies larmes de ciel, pour le coup. Parfum du départ. Tu t'en vas, et cette vieille chanson, ce refrain démodé, me tourne en tête, un amour de vacance, une histoire sans lendemain, stupide, lente, idiote, accumulant les clichés, et pourtant j'en suis presque à pleurer. Time to go. Appréhender ces quelques jours, dans les mêmes rues où nous nous baladions enlaçés, ces mêmes gens qui nous souriaient, et s'efforcer de ne pas y penser. J'aimerai te crier, oui, encore une fois, je suis amoureuse, te dire je t'aime en toute les langues, te supplier de ne pas t'en aller. Mais ce serait une erreur. Libre. Tu te dois de l'être, tu l'es, je ne serai pas la cage qui te retiens, et puis je ne le pourrai jamais, je ne le voudrai jamais. Le monde à ta portée, le vent en poupe. L'amour, la création, la vie, les gens, tout ce qu'on doit voir, tout ce que je dois voir aussi, sans toit, sans toi, sans moi. Simplement, s'il te plaît, ne m'oublie pas. Retrouve moi un jour, avec dans ton sourire cette tendresse inchangée, cette complicité, cet éclat si chaud, brûlant au fond du regard, cette même lumière. Ta lumière.
Presse encore, presse plus fort, ton corps contre mon corps, ta peau frémissante, baignée de sueur, chaleur, extase nocturne sous le ciel d'été. J'en oublie mes peurs, mes déliriums, ces vagues à l'âme, ces doutes qui me rongeaient. J'oublie tout dans ces bras-là, dans cette étreinte forte et tendre, dans ces mouvements nerveux qui t'agitent, dans la souplesse élastique de ton torse. Je suis onde et vague, brisée sur le roc de tes membres dorés, sublimée dans la splendeur des étoiles. Je suis toi, en toi, face à toi, avec toi, je n'existe plus, nous sommes, en ce moment, un pan d'éternité sur la toile des instants.
"Sunny boy". Le soleil en est presque voilé depuis que se rapproche, inexorable, le couchant, le départ, la fin de ton règne. Sunny boy, dans la nuit, dans l'adrénaline des instants volés à la pudeur citadine. Sunny boy, aux yeux voilés de sommeil, dans la brume caféine. Sunny boy, astre inconscient et inconnu, sublime secret des temps, condamné aux allers et retours sur le sable aggressif, Sunny boy qui s'en va, s'en va sans savoir dans quelle terrible nuit je plongerai...
La fin du chapitre. La conclusion, le cut final, les points de suspensions hésitants en bas de page. Et l'angoisse, le vertige infini, d'une feuille blanche aux promesses lointaines encore. J'aurai obscurément voulu que ce moment ne finisse jamais. Qu'il soit gravé sur une pellicule, figé sur papier glacé, encadré, comme mort, mais là encore. But the show must go on.
So long, my sweet Sunny Boy...
Lebo som down. Que le voile se déchire, que cette réalité lumineuse fasse place aux matins gris, et à l'odeur douce du café pris dans un demi sommeil au comptoir d'un zinc parisien. Que les jours perdent l'éclat rosé des levers de soleil sur la mer, perdent le parfum du sel et la brûlure du sable. Pour moi, l'été se meurt, et le ciel d'ici annonce déjà ce que seront les jours prochains, là bas. Lebo som down. Jamais ta langue ne m'as parue si triste, si mélancolique. Je la comprends presque, sans y réfléchir, elle sonne dans mes oreilles, résonne familièrement. C'en est fait de ce temps. L'avenir s'ouvre, immense, gigantesque, une fois encore angoissant, jusqu'à ce que la marche soit gravie, franchie. The Great Gig in the Sky.
"And I am not frightened of dying. Any time will do, I don't mind. Why should I be frightened of dying? There's no reason for it — you've got to go sometime".
"And you run, and you run, to catch up with the sun, but it's sinking, and racing around to come up behind you again".